Le blog d'eve anne, Madrid.
Il
faisait gris, les nuages avaient envahi le ciel. D’ailleurs il faisait toujours gris dans ce pays. C’est du moins ce que pensait Edith en remontant dans sa voiture. Bien qu’étant native
du Nord, de Roubaix plus précisément, elle n’aimait pas trop cette région. Ce rejet s’était manifesté au fil du temps quand, pour son travail, elle avait découvert l' attrait des villes
du sud et de leur climat plus serein.
Elle était très inquiète. A chaque instant elle se sentait menacée. Elle ne craignait pas pour sa vie, mais pour leur vie, à Ludovic, à elle, pour tout ce qu’ils avaient fait ensemble..
La maman d’Edith ne dissimulait pas non plus son inquiétude, ce qui ajoutait à ses craintes la crainte de ses parents. Tout cela en si peu de temps, le bonheur avait fait place au
cauchemar en quelques semaines. Elle connaissait bien l’Adjudant Moreau, qui était un ami de son père. Elle ne comprenait pas pourquoi la justice semblait les abandonner. Elle fut à
l’origine de l’idée de demander audience au Préfet. Celui-ci accepta la demande et rendez vous fut pris. Mais le rendez vous n’eut jamais lieu, repoussé
à chaque fois pour raisons prioritaires, ils finirent par abandonner, et pour tout
rendez vous, c’est l’adjudant Moreau qui reçut un blâme pour ne pas avoir solutionné ces problèmes de querelles patron-syndicat, « qui ennuyaient tout le
monde ».
Edith en était là de ses pensées. Elle avait repris la route de Wasquehal, où était située leur villa. Depuis les débuts de
leurs problèmes, trois gardiens avec chiens se relayaient nuit et jour pour préserver la maison et ses habitants. Sage précaution. Ils eurent à repousser plusieurs fois quelques
provocations de personnages non identifiés.
Il faisait froid, il allait pleuvoir. Si un jour leurs soucis venaient
à s’estomper, ils partiraient tous les deux vers des pays où il fait toujours beau. Le coupé ronronnait doucement. Elle ne roulait jamais vite, il faut dire que la plupart de ses
déplacements s’effectuaient dans la banlieue Lilloise. La voiture était confortable, c’était le cadeau de mariage de Ludovic: une SLK métallisée. Edith aimait cette douce odeur de cuir,
elle aimait son confort, la chanson du moteur, le regard des gens qui la regardaient passer.
Edith aimait son mari, elle avait eu de la chance de le rencontrer. Il
était unique au monde. Il lui avait dit la veille qu’il avait décidé de relever le défi et de prendre Roger Lheureux à son propre jeu, persuadé qu’il était le « cerveau » de
toutes ces provocations. Ludovic s'infiltra dans le milieu Lillois. Ce n’était pas si difficile, il suffisait d’entrer dans un bar louche, et l’on se faisait accoster immédiatement. Il y
a une chose que les durs de la pègre locale n’aiment pas, c’est de se faire doubler par des prétendants truands quelles que soient leurs raisons. Contre une forte somme d’argent, le
marché fut conclu, ils allaient régler le problème. Ludovic n’ignorait pas qu’il lui faudrait payer et payer encore, et que ce serait un autre problème. Il n’avait pas le choix.
L’adjudant Moreau fut mis dans la confidence. Il ne s'y opposa pas. Discrètement prit ses distances avec le dossier.
Bien qu’elle fût inquiète Edith approuvait totalement cette démarche. Elle se
demanda s’il n’était pas déjà trop tard.
Elle venait de sortir de Roubaix et allait bientôt arriver à la hauteur de la Grande Brasserie Moderne. Une forme sombre et mouvante
sur le pont à quelque centaines de mètres devant sa voiture, attira son attention. Sans s’effrayer outre mesure, elle continua son chemin. Elle comprit trop tard quel était le piège
qui l'attendait. Du haut du parapet, un homme laissa tomber un objet pesant au passage de la voiture. Le pare brise fit un bruit effroyable quand l’objet le traversa. Dans un réflexe
destiné à éviter le projectile, Edith avait perdu le contrôle de la voiture qui finit sa course dans l’eau noire du
canal.
Quelques
remous, des bulles et puis plus rien. Dans ce coin désert, presque une friche industrielle, devant une usine en pleine activité, personne n’avait été témoin du drame qui, en quelques
secondes avait coûté la vie à la jeune femme.
Ludovic l’attendit plusieurs heures. Il ne s’inquiétait pas outre mesure, il savait combien les femmes sont bavardes, et sa belle mère était une championne dans le genre. Il appela au
téléphone pour apprendre qu’elle était repartie en fin d’après midi. Tout de suite Ludovic appela l’adjudant Moreau, qui, sans en référer à ses supérieurs déclencha le plan de recherches
immédiatement. Sur le trajet qu’Edith devait emprunter, ils ne trouvèrent rien d’anormal. Seul restaient à explorer les eaux noires du canal. Pour cela ils devaient attendre le lendemain
matin. Ludovic et l’adjudant, les parents d’Edith passèrent la nuit autour du téléphone, attendant un miracle. Le miracle n’eut pas lieu ; quand le téléphone sonna, ce fut pour annoncer la
triste nouvelle, on avait repéré le coupé Mercedes dans le canal.
Quand Ludovic accompagné de l’adjudant Moreau arrivèrent sur place, une grue était en train de se mettre à l’œuvre, des plongeurs passèrent les élingues sous la
carrosserie. La voiture fut remontée en
douceur, l’eau s’écoulait de partout. Quand la grue posa la voiture sur le quai, Ludovic s’approcha. Edith était là, le visage un peu sali était à peine déformé, peut être simplement par
le cri qu’elle avait dû pousser.
Après les photos indispensables à l’enquête,(si enquête il devait y avoir), le corps fut emporté par les pompiers, et l’ambulance disparut en direction de Roubaix. L’adjudant Moreau, en
vrai professionnel, avait déjà pris toutes les photos utiles. Il fit un geste pour appeler Ludovic.
« Regardez, le pare brise n’a pas éclaté, il a été perforé par un objet qui l’a traversé à grande vitesse, et cet objet, il est là, sur le plancher de la voiture. » Ludovic se pencha et découvrit un énorme pavé au milieu d’une couche de limon qui le dissimulait « déjà » à moitié, avant qu’il ne disparaisse à jamais. N’importe lequel des enquêteurs ou des badauds qui commençaient à arriver de partout pouvaient se saisir du pavé et le rejeter au fond du canal.
« Regardez Ludovic, un homme devait se tenir sur le pont, et vraisemblablement il a jeté le pavé au passage de la voiture. Ce n’est pas un crime gratuit, le coup était prémédité, il s'agit d'un assassinat »
Ludovic se rendit à l’évidence, l’horreur était arrivée au bout de son
chemin.
L’autopsie révéla qu’Edith attendait un enfant. Elle n’en avait pas parlé, peut être était-ce une bonne surprise qu’elle réservait à son époux. Comme l’Adjudant Moreau l’avait prévu, il n’y eut rien dans les pièces de l’enquête
qui put conclure à autre chose qu’un banal accident de la route.
L’adjudant Moreau ne parvint pas à expliquer à la préfecture comment les pièces à conviction avaient disparu du
dossier.
Il comprit qu’il devait
obéir à la mutation qui lui était proposée.
Ludovic lui conseilla d’obéir. Il avait quelques détails à régler, et sûrement il partirait lui
aussi.
Les obsèques d’Edith
furent une épreuve épouvantable. Ludovic regagna sa maison, et avec l’aide de quelques cachets dormit pendant deux jours.
Le calme revenait peu à peu dans l’esprit de Ludovic. Il entama des
pourparlers pour vendre son usine. Il n’en voulait pas cher, de quoi solder ses cautions, ses engagements, et quelques impôts et taxes restant dus.
Il se rendait souvent au cimetière, et restait de longs moments
immobile, sans doute en communion avec la défunte. A la sortie sud du cimetière, sur les marches du perron, on pouvait apercevoir Juste au pied du terril, les bâtiments clairs de son
usine..
Un jour enfin, levant les yeux de la tombe de l’aimée, il vit une grosse fumée noire s’élever dans le ciel. Il entendit les pompiers aussi. Il comprit tout de suite de quoi il
s’agissait, mais cela le laissa de glace, sa prière n’était pas finie.