Le Coupe Chou.
6ème Partie.
Le Retour.
Et puis le temps s'est écoulé, les jours ont succédé aux jours, et les
vacances étaient finies. Il ne restait plus dans mon cœur qu’une petite joie secrète, une petite flamme de nostalgie vacillante, une douleur impalpable, et je me disais
que ce n’était qu’une histoire, et qu’avec un peu de chance, j’en aurai d’autres encore avant que je ne sois vieille, et que plus personne ne me regarde plus. Un mois s’était
passé.
Je trouvais un matin dans ma boîte aux
lettres une carte postale, que je regardais négligemment, et mon cœur sursauta en reconnaissant le Palais de l’Isle, figure célèbre d’Annecy. Au dos de la carte, une écriture ronde et
régulière !
« Gare de Lyon Vendredi 20..19h30
rendez vous au même endroit : présence ardemment souhaitée, mais non obligatoire : 2 heures de battement maxi » Signé « Lioubov »
Je remontais chez moi, la carte sur le cœur
et le sourire aux lèvres. Présence souhaitée ? Tu parles ! Je comptais mentalement les jours qui me séparaient de cette rencontre : 18 jours ! Mais comment allais-je
tenir ? Mais, de toute évidence, je tins ! Je fis une maison propre, rangée, brillante astiquée, fleurie, parfumée. Je lavais et repassais les rideaux, achetais une housse
de couette plus class ! Finalement les jours passèrent assez vite, et je n’avais aucune appréhension fébrile. 2 heures de battement, cela voulait dire qu’elle changeait de
train ? Qu’importe, elle prendrait le suivant, un autre le lendemain, ou la semaine d’après, Il y a toujours des trains, ce n’est pas le problème ! Elle revenait me voir, et
j’étais bien décidée à la garder ! Je mettrai ma petite chez ma voisine, elle sera avec sa copine préférée, il n’y aura aucun problème.
Je me retrouvai sur le bout du quai au milieu
de la même foule affairée. Tous ces gens qui se croisaient dans ce mouvement incessant, et bruyant, et cette odeur typique et froide …J’étais en avance, 10 minutes au moins, je regardais
ma montre, l’horloge, une petite correction, voilà..... Les deux étaient synchro ; J’étais en plein passage, les gens me bousculaient, je prenais des coups de valise, mais je
ne sentais rien, en d’autres temps, j’aurais hurlé, griffé, insulté, mais en ces dernières secondes d’attente, j’étais sereine, et j’essayais de discerner un mouvement dans le lointain,
là où les rails se rejoignent et se mélangent. A la seconde près le TGV parut au bout du quai, puis tout alla très vite. Le quai quasi désert, devint noir de monde en quelques
instants. Je dus me déplacer un peu pour ne pas être entraînée par le flot, violent comme un torrent qui déborde..
Voilà, ils étaient tous passés enfin presque,
une silhouette longue et fine s’était arrêtée à dix mètres et me souriait : Lioubov !!! J’allais la rejoindre, et la dévisageais avec une
quantité de sentiments qui me venaient en rafales, doucement je déposai un baiser au coin de ses lèvres, puis je la dévorai des yeux. Doux jésus ! Qu’elle était belle, encore plus jolie
que dans mon souvenir…
« Viens, c’est moi qui t’invite. »
me dit elle, enjouée.................
Sitôt installées dans la voiture, je lui
posais insidieusement la question : « Où allons nous ? –Au Coupe Chou - dit-elle ! Si tu en as envie évidemment ; » je souriais intérieurement en
conduisant, et j’eus plus de chance que la fois précédente. Je trouvais une place tout près, juste au coin de la rue. Même ambiance, même accueil, douceur et plaisir, succession
d’instants feutrés, du bonheur à l’état pur.
« Je t’avais promis des
explications .........: "Je vis à Annecy !.................. J’y suis née, j’y ai toujours vécu................... Sans le savoir l’autre jour, tu m’as reconduite à la
maison................ Je me suis mariée aussi à Annecy, avec un homme adorable, dont j’ai été éperdument amoureuse. Je te l’ai dit, je ne suis pas homosexuelle, ou plutôt, je ne l’étais
pas. J’avais avec Alain des relations exceptionnelles. Pour tout; C’était l’entente parfaite, pour la vie, le travail, l’amour, tout était super bien .Nous devions faire un
enfant pour qu’il naisse le premier janvier 2000 » Elle s’arrêta pour avaler son whisky d’un trait, et fit signe au garçon de lui en servir un autre. Pendant ce temps elle avait pris
ma main sur la table, absolument étrangère au regard acéré de notre voisine de table. « Alain s’est tué il y a six mois, il était dans le téléphérique qui est tombé. Depuis, je
n’ai pas réussi à refaire surface. J’ai échappé à deux tentatives de suicide......... Je dois être maladroite.............. Et puis j’ai décidé de partir, de monter à
Paris, sans savoir pourquoi, il fallait qu’il m’arrive quelque chose, que je change de vie, que je trouve une autre raison de vivre! J’ai une agence immobilière à Annecy, mais je peux
aller partout. Et puis de Paris, je n’ai rien vu. Je fus kidnappée à l’arrivée par une belle amazone au grand cœur qui m’a reconduite à la maison..........En y mettant les formes il est
vrai. Voilà mon histoire ! »
Je la regardais avec des larmes aux yeux, ses
cheveux avaient poussé un peu, très épais sur la nuque. Habituellement je n’aime pas trop les cheveux courts, mais là c’était parfait .Quel doux visage elle avait, je sentais monter en
moi des pensées inavouables. « Tu restes avec moi ce soir ? –Non répondit elle, il faut que je parte, je dois être à Orly dans une heure ! » Douche glacée immédiate,
c’était la fin du repas, je n’ose imaginer ce qu’aurait été la soirée si elle m’avait dit ça plus tôt ! « Tu pars en vacances? Tu as raison, ça te changera les
idées ! Tu vas rester longtemps partie ? -Je ne sais pas, en principe deux semaines, mais il se pourrait que je prolonge si je m’y sens bien » Tout en papotant, elle avait
réglé la note, et demandé un taxi !
« Mais je te conduis !- Non pas
question, pas d’adieu sur le tarmac, tu n’aimerais pas ! » Et puis tu as de la route à faire, et puis je suis si contente de t’avoir vue ce
soir.
Le taxi était arrivé, on avait transféré les
bagages d’un coffre à l’autre, et je m’approchais pour l’embrasser ; « Mais au fait, tu pars où ? –A la Guadeloupe! Ce n’est pas encore la saison, mais on sera au
calme ! »
Cette dernière phrase m’interpella
violemment. Pétrifiée je restais clouée sur place. « On ? Mais tu ne pars pas seule ? »
« Hé bien non …………. avec
Corinne……………….. Je te l’avais pas dit ?.......... »
Je ne répondis pas, les yeux fixés au sol, je
sentais une boule d’incompréhension me monter du ventre à la gorge, j’allais étouffer. J’eus juste le temps de voir deux longues jambes fuselées disparaître dans le taxi qui démarra
instantanément.
J’ai dû rester là quelques minutes, sans même
regarder le taxi tourner la rue .Le taxi ? Mais quel taxi ?.........Je montais dans ma voiture, je ne pensais à rien. L’esprit, le cœur, le corps totalement vides, j’étais un
robot qui effectuait les gestes mécaniques d’un programme enregistré et bien rôdé. Il n’y avait plus aucune humanité dans ce qui coulait dans mes veines, plus aucune couleur sur mes
joues, plus aucune émotion dans ma poitrine.
C’est avec des gestes automatiques et
maladroits que je déballais le CD acheté quelques heures plus tôt à la gare. A la gare ? Mais quelle gare ? J’introduisis le CD dans le "mange-disques" du
tableau de bord, c’était le dernier album d' Ilène Barnes. Le disque débuta sur quelques accords de guitare; je fermais les yeux ......La tête reposant sur l'appui tête. Plus rien
n'existait que la voix extraordinaire qui, peu à peu, me ramena à la vie!
Je démarrai doucement, avec les gestes inconscients, et je repartis par
le Boulevard Saint Michel ;
Direction nord.
Et puis je me pris à sourire, les lèvres peut-être encore un
peu crispées :
« Moi jalouse ? Et quoi encore ? »
Nous sommes libres,nous sommmes maintenant à l'oréée de disposer de nos corps et de nos envies
Elle a juste choisi de vivre un autre moment de liberté,peut-être reviendra-t-elle ou non
Bise