Le blog d'eve anne, Madrid.
Le Testament de Benjamin
Briggs.
La Mary Céleste
Le départ eut lieu aux premières lueurs du jour. Les trois femmes
s'étaient levées pour assister aux manœuvres. Elles étaient silencieuses, elles étaient aussi sûrement très émues.
Quitter le port pour le grand large, est toujours un moment d'interrogation
particulier et de doute.
Mais cette
émotion ne dura pas. Les ordres du capitaine relayés par la voix puissante du premier matelot, firent que le départ s'effectua en douceur, et sans
bruit.
Au bout de quelques heures, la
côte était hors de la vue du voilier, elle s'était effacée progressivement dans les brumes marines.
Bien que les voiles fussent gonflées de vent, le navire
surchargé n'avançait pas très vite. Il voguait dans le plus grand silence, la vague d'étrave, était à peine visible. Le capitaine proposa à Florane de lui enseigner les rudiments de navigation, qui lui
permettraient, éventuellement de savoir faire le point et regagner le port le plus proche. Elle en fut passionnée. Au bout de trois jours elle savait faire le point astronomique, faire
les relevés sur la carte. Le quatrième jour, elle était à la barre et tenait le cap. Benjamin Briggs était fort amusé de sa volonté d'apprendre, et ne manqua pas de s'étonner de ses
progrès rapides. Cela n'amusait pas Sarah,
qui avait retrouvé son ennui, et s'en plaignait amèrement auprès de la dévouée Amiya. Cela était mal vu aussi par les marins, qui voyaient dans les progrès de cette débutante mondaine,
la dépréciation de leur savoir faire.
Mais elle n'en avait que faire. Un jour qu'elle était à la barre, l'amure de tribord se brisa. Le matelot qui se trouvait au plus près ne se sentit sans doute pas
concerné, et ne bougea pas. La voile se mit
à fasseyer violemment. C'est alors qu'elle donna l'ordre au marin de la rétablir. Ceci était parfaitement logique, mais le marin le prît très mal et se plaignît au
capitaine.
Ce genre d'incident se
multiplia. Le capitaine habitué aux querelles de marins, n'en fut pas influencé. Mais à cause de cela, l'ambiance n'était pas des meilleures sur le navire. Sarah était très contrariée que Florane passe plus de temps sur le pont qu'avec elle. Florane lui expliquait qu'elle n'aurait pas souvent l'occasion de piloter un
brick-goélette, et que cela ne durerait pas longtemps. Mais elle sentait Sarah devenir vraiment agressive. Elle arrêta donc de jouer les matelots et regagna sa place auprès de sa
bien aimée.
Sarah mis quelques jours à
récupérer de son indignation, et tout fut oublié.
Le capitaine sentit que c'était le moment de mettre les femmes au courant de la réalité de la mission.
Il fit en sorte de le faire au cours du repas du soir. Il demanda à Amiya, de rester
dehors, et de surveiller les matelots pour s'assurer qu'aucune oreille indiscrète ne flottait près de la cabine.
Briggs commença son discours :
« J'ai réalisé ces dernières heures, qu'il était trop risqué de garder le secret
pour moi seul. S'il m'arrivait quelque chose, la mission serait définitivement un échec. Or, il est important qu'elle soit menée à son terme. Vous n'ignorez pas l'issue tragique de la
guerre qui a sévi en Europe. Cette guerre qui a opposé deux cent cinquante mille soldats français à huit cent milles soldat de la coalition Germano-Prussienne, n'avait aucune chance
d'aboutir à la victoire. D'autant plus que la raison de cette guerre était totalement stupide. La succession du trône d'Espagne, n'était pas si importante que ça, il y aurait eu bien
d'autres moyens de la combattre. Cela prouve que Napoléon III a été en dessous de tout bon jugement, et que les généraux français n'ont pas été capables de trouver une réponse
cohérente. Les Allemands, par la dépêche d'Ems, ont montré qu'ils étaient prêts à tout pour avoir le leadership Européen.
Aux Etats-Unis ainsi qu'au Canada, ces évènements ont fait forte
impression. L'Europe, pour le nouveau monde, est le seul allié qui permettra son évolution.
Ainsi, les grands courants de pensée et les grandes industries américaines ont décidé
de venir en aide à la France, qui, dans le passé fît énormément pour nos ancêtres. Le gouvernement ne prend pas officiellement position, mais il n'interdit pas que les américains
apportent, de leurs deniers, de quoi payer cette gigantesque rançon, dont la France ne pourra jamais s'acquitter. Les industriels, les catholiques les protestants, les francs maçons, et
bien d'autres ont réuni plus de cinq milliards de dollars, qu'il faut faire parvenir à la France.
Une partie de cette somme monstrueuse est dans nos cales. Les fûts noyés dans la
soute, sont remplis de lingots d'or, et de titres divers. Le tout camouflé sous une épaisse couche d'huile lourde de pétrole. Les mille sept cents barils recomptés par Florane (dit-il
en souriant), ne sont là que pour brouiller les pistes. Le choix de l'alcool, est simplement dû à la faible densité du produit, qui permet un chargement plus lourd par ailleurs. Par
sécurité, neuf de ces barils sont remplis de titres, qui serviraient de monnaie d'échange au cas où nous serions rançonnés. Tout est organisé à Marseille, et non à Gênes, pour recevoir
discrètement cette fortune. Des émissaires américains, sont sur place, pour s'assurer de la sécurité des opérations.
Après la livraison, nous ne reviendrons pas au Québec, ni en Amérique. Nous partirons
pour une destination lointaine pour nous faire oublier et pour servir notre pays autrement. La Mary Céleste devra repartir pour New York, avec un nouvel équipage, et sera coulée par la
marine américaine.
Il ne restera aucune
trace de cette opération.
Voilà pourquoi,
j'ai souhaité que Florane apprenne à naviguer. Il est dommage ma chère Sarah, qu'elle n'ait put aller au bout de cette formation, il lui reste à affronter la tempête- mais au moins
suis-je heureux que vous ayez retrouvé le sourire. »
Florane et Sarah se regardèrent. Sarah était catastrophée, Florane souriante. Sarah prit la parole pour dire à
Florane :
« Je te demande
pardon ma chérie de t'avoir entrainée dans cette histoire. Nous sommes perdues, nous n'y arriverons jamais. »
Et Florane tout sourire :
« Hé bien chérie, tu voulais l'aventure ? Tu l'as, et en plus, la carrée est
plus inconfortable qu'une cabane de trappeur ! Et elle éclata de rire.
Benjamin ? Peut on faire escale aux Canaries et laisser Sarah vivre sa vie ?
-Chameau tu me paieras ça !
-Je t'aime mon amour, je vous aime Benjamin, quand je pense que j'aurais pu rester
au « Mont Royal » pour aligner des chiffres. Non ! Je préfère être ici, merci Benjamin, merci Sarah. »
Amiya put enfin rentrer, elle était frigorifiée. Florane adorait qu'elle le soit, les
tétons frigorifiés de ses seins semblaient alors vouloir crever l'étoffe.
On la réchauffa, on la frictionna, le traitement lui plut.
Pour sceller cette révélation, on déboucha une bouteille de whisky. De celui que
benjamin entreposait chez lui. Les femmes un peu pompettes se couchèrent aussitôt. Après un premier sommeil, elles se réveillèrent, et en essayant d'être les plus discrètes possibles,
firent l'amour une partie de la nuit. Au cours de cette nuit mouvementée, il se passa quelque chose.
Un évènement, ho ! Tout petit. Florane ne sût pas si Sarah s'en était aperçue.
Alors qu'elle se tenait allongée sur le dos, Sarah la couvrait de baisers et de caresses. Florane se laissait faire, et savourait les morsures violentes que Sarah lui prodiguait. Dans
ces scènes d'amour, les sensations sont multiples, et l'imagination de la partenaire, fait que chacun des attouchements arrive par surprise. Florane le savait. C'est pour cela sans
doute qu'elle ne remarqua pas tout de suite, quand elle sentit une bouche avide entre ses cuisses, que Sarah ne pouvait être celle qui lui faisait cette caresse, alors qu'elle était en
train de dévorer ses seins.
Cela dura
quelque temps, et Florane ne sentit plus rien alors que Sarah n'avait pas changé de position. Une troisième personne avait donc participé à leurs ébats. C'était beaucoup trop bien fait
pour que ce fût un homme. Ça ne pouvait être qu'Amiya.
« J'adore cette fille » pensa-t-elle mais elle prit garde de ne pas demander à Sarah si elle l'avait remarquée.
Le reste de la nuit se passa dans un sommeil
profond.
Au matin, la houle était formée.
Le vent était levé. Florane sortit en toute hâte pour être témoin de ce qui se passait. Il y avait du soleil, il y avait du vent. Les vagues étaient impressionnantes le bruit
infernal ! Ils recevaient des paquets d'embruns et l'écume dans le soleil paraissait d'un blanc surnaturel. Le navire gîtait de façon importante. Benjamin était sur la passerelle,
les yeux dans l'immensité. Il sentit Florane s'approcher. A la droite de benjamin, se tenait le second matelot.
« Hé bien Matelot, que pensez vous de
tout cela ?
-Je pense qu'il
faudrait réduire la voilure dit le matelot.
- Et vous capitaine Florane, qu'en pensez-vous ?
- Le navire est trop lourdement chargé pour marcher au près par un temps pareil, il faut mettre à la
cape. »
« Vous avez
parfaitement raison capitaine Florane. Exécution matelot !! »
« Voilà comment on se fait des ennemis remarqua Florane.
-Quand on a raison, on a toujours des ennemis ! Mais il est plus important de
sauver son navire que d'avoir des états d'âme.
La mer s'était calmée. Le navire avait doublé les Açores, il se
trouvait dans l'axe du détroit de Gibraltar. Il pouvait profiter ainsi des meilleurs vents qui allaient le propulser directement en Méditerranée.
C'est alors que Florane entendit des éclats de voix. D'abord celle du
Capitaine, ensuite celle d'un matelot, puis celle du premier Matelot.
Florane se précipita. Il y avait un marin solidement tenu par le premier matelot. Le marin, pris de folie, écumait dans une colère
noire.
Le capitaine Briggs parlait
calmement, de sa voix autoritaire qui n'appelait aucune réplique :
« Je vous le répète pour la dixième fois. Vous ne pouvez pas boire cet alcool, il est absolument impropre à la consommation,
et peut vous rendre malade, aveugle, ou fou. Et je n'ai pas besoin de fous furieux à bord. Sans parler des suites...L'alcool ne sera pas vendable et la valeur du baril ouvert sera
retenue sur votre solde ! Le Matelot déjà ivre se débattait furieusement. Il réussit à se dégager, se saisit du poignard que le premier matelot avait à la ceinture, et se jeta
sauvagement sur Briggs, alors que celui-ci avait tourné le dos pour regagner la passerelle.
Frappé dans le dos, le poignard fut dévié par l'omoplate, et pénétra dans le cœur
profondément. Le Capitaine Briggs s'écroula, sa mort fut instantanée. La stupeur s'installa sur le pont du voilier. L'homme restait debout, le poignard à la main, ruisselant de
sang.
Le regard absent, perdu dans on ne sait quelle ivresse ou quelle folie. Le premier matelot se saisit d'une manille qu'il avait à portée de main, et asséna un coup violent sur la tête de
l'assassin. Et s'adressant aux autres matelots présents :
« Attachez-le solidement dans la soute à voiles. Qu'il soit au secret, qu'il ne parle à personne, et qu'on ne lui parle pas. Il
sera remis à la police du port et jugé comme mutin. »
L'homme fut emmené. Benjamin Briggs était maintenant allongé sur le pont. Sarah à genoux à ses côtés, lui caressait le front et pleurait en silence. Amiya se tenait
debout derrière elle, prête à servir les vœux de sa maîtresse. Le premier Matelot s'adressant à Florane témoigna de sa stupeur :
« C'est incompréhensible, c'était le matelot le plus proche de Monsieur
Briggs. »
« Il avait peut être
de grandes qualités, mais en l'instant c'est un assassin de la pire espèce. Il paiera pour son crime. »
Le Matelot baissa la tête et ne répondit
pas.
Et Florane
continua :
« Monsieur Jackson,
vous allez prendre le commandement du navire, vis-à-vis de vos hommes. Mais c'est à moi que vous rendrez des comptes. » Le ton était si autoritaire que le nouveau Capitaine obéit
sans hésitations.
« A vos ordres
Madame »
Et Monsieur Jackson fit rependre le cap. Comme pour clore à jamais ce pénible incident, un violent orage éclata. Tous durent se réfugier dans l'entrepont. La foudre frappa le grand mât,
et la plus haute vergue s'écrasa sur le pont.
A l'intérieur, une chapelle ardente était improvisée. Le corps de Benjamin Briggs reposait sur un affût, recouvert d'un drapeau
Américain.
L'immersion du corps fût fixée
à l'aube de cette nuit de veille.
Florane
par ses caresses et ses mots doux s'appliquait à apaiser la douleur de Sarah. Celle-ci, bien que n'ayant pas souvent de rapports avec son mari, avait pour lui une très grande estime, et
une tendresse immense.
Elle s'adressa à
Florane :
« Ma douceur, je sais
que ta douleur est semblable à la mienne, nous partageons tellement de choses. Mais la mission de benjamin doit continuer. Je serai bien incapable d'en prendre la responsabilité. Toi
seule sera assez forte pour mener à bien cette entreprise, toi seule saura réaliser ce qu'étaient les intentions de Benjamin, Je te fais une entière confiance, tout ce que tu feras sera
bien fait. Et prends garde à toi, ces hommes sont des brutes de la pire espèce.
- Je ferai de mon mieux, mon triste amour. Il me faudra disposer de l'appui d'Amiya, c'est la seule en qui je pourrai avoir toute
confiance.
- J'allais t'en prier, Amiya
saura mourir pour toi. Mais je suis épuisée. Laissez-moi avec mon chagrin, la journée de demain sera pour moi le début de mon
calvaire. »
Florane entraîna Amiya
dans le réduit contigu.
« Voilà ce
que nous allons faire. »
La journée commença à l'aube rougissante. Le navire était face au soleil. Un autel avait été dressé sur le pont. Une messe fut dite par le premier matelot maintenant capitaine de la goélette.
Puis le corps fut placé sur la bascule, et après une dernière prière,
il glissa vers le flot. A cet instant, on vit le dos d'une énorme baleine surgir de la vague, son énorme queue resta fixée sur le ciel couleur de sang, puis semblant fouetter l'air
comme un signe d'adieu, lentement elle s'enfonça dans la mer. La reine des mers allait accompagner Benjamin Briggs jusqu'au fond des Abysses.
La cérémonie terminée, Florane s'adressa au
capitaine :
« Qu'on aille
chercher le prisonnier !
-
Mais...
-Je vous ai donné un
ordre. »
Deux marins descendirent
dans la soute et revinrent avec l'homme enchaîné.
« Détachez-le !
Quand l'homme fut debout et libre de ses chaînes, Florane plongea son regard dans celui du marin et lui dit :
« Nous venons de procéder à l'immersion de Benjamin Briggs, capitaine de vaisseau
de la marine américaine. Le capitaine Briggs a été lâchement assassiné par l'un de ses matelots. Il est temps pour lui de payer ce
crime. »
Le matelot regardait
Florane d'un air incrédule et goguenard. Le fait qu'elle ne baissa pas les yeux, commença à l'intimider.
L'homme, terrorisé répondit en
bégayant :
« Vous n'êtes pas de
la marine, vous n'êtes pas le Capitaine, vous n'avez pas d'ordre à donner, si vous me touchez mes copains vous feront la peau ! Vous serez enchainées, violées, on vous passera
par-dessus bord ! On ne va pas se laisser commander par deux radasses et une sauvage !
« Je n'ai que faire de vos insultes. Venant de si bas, elles ne peuvent nous
atteindre. Et je ne crains pas vos menaces, vous avez assassiné benjamin Briggs de la façon la plus lâche, vous méritez le dernier des châtiments, je vais vous
exécuter.»
En disant ces mots, elle se
saisit d'un pistolet qu'elle avait à la ceinture, et visa le front du matelot.
« Madame, je vous en prie, ne faites pas ça ! J'implore votre grâce.
- Monsieur Briggs n'a pas eu le choix, il a été victime d'un
assassin.
- Pitié s'écria le matelot en
se jetant à genoux. »
Le canon du
pistolet avait accompagné le mouvement du matelot. Celui-ci comprit brusquement qu'il allait mourir.
« Monsieur Briggs n'a pas bénéficié de votre pitié. A cette heure il reste
une veuve et une petite fille qui ne connaîtra jamais son père.
Ne dites rien Monsieur Jackson, cela n'a rien à voir avec la marine américaine. Il n'y a aucune excuse à ce geste, et devant vous et
devant Dieu, je fais justice. »
Elle appuya sur la détente. Le coup partit, le matelot s'écroula, la balle l'avait atteint au front, entre les deux yeux.
Les matelots furent frappés de stupeur, et n'écoutant que leur désir de vengeance se
précipitèrent. Amiya qui se trouvait au côté de Florane sortit de dessous les plis du Sari, un pistolet que personne n'avait entrevu. Sans sommation elle tira. Le premier matelot
s'écroula, frappé en pleine poitrine.
Les
matelots ne bougèrent plus. Florane s'était saisi d'un second pistolet. Amiya également, le Sari pouvait dissimuler beaucoup de trésors. Sarah arriva sur le pont. Elle avait encore sa
robe de satin bleu, mais au bout de chaque bras, se balançait un pistolet de gros calibre.
Les marins furent saisis de terreur.
Florane reprit la parole.
« Capitaine, mettez le canot à la mer, ces mutins auront une chance de survivre
et peut être d'échapper à la justice de la marine.. »
En moins de temps qu'il n'eût fallu pour le dire, les quatre matelots survivants se précipitèrent dans le canot.
« Capitaine, il est temps pour vous de choisir votre camp. Ou bien vous partez
avec cette racaille, ou vous restez avec nous, pour nous servir, je ne tolèrerai aucune trahison. Vous savez maintenant de quoi nous sommes
capables.
-Je suis de votre côté Madame,
je vous prie de ne point en douter.
-Fort
bien, mais que faîtes vous donc ?
-Je respecte la tradition, qui veut que les marins rejetés à la mer, emportent une corde, un marteau des clous et une hache, avec un gallon d'eau par
personne.
-C'est trop d'honneur que vous
leur faites. Ces hommes sont de la vermine. »
Elle n'avait pas fini de dire cela que de violents coups se firent ressentir contre la coque. S'approchant du bastingage, elle vit que l'un des marins, dans le canot, avait attaqué
la coque du navire avec la hache. Elle visa de son second pistolet. L'homme touché à la tête bascula à la mer emportant avec lui la hache généreusement donnée par le
Capitaine.
« La tradition ne se
répètera pas deux fois dit elle. »
Le canot s'éloigna avec les trois survivants à bord.
« Ils n'ont aucune chance » dit le Capitaine.
« Dieu vous entende »
« Capitaine, Amiya, allons nettoyer ce carnage. Il n'y aura pas de cérémonie pour
ces mutins. Ensuite Capitaine nous nous relaierons à la barre toutes les six heures. Cap sur Gibraltar.
Amiya sera initiée au pilotage du navire. J'ai bien appris, pourquoi pas
elle ?
Et la Mary Céleste reprit son
cap, il ne restait de souvenirs de cette dramatique aventure, que les traces des coups de hache sur la coque du navire, et une tâche de rouille là où se trouvait la
manille.
Gouverner ce navire lourdement
chargé à deux, était une prouesse qui ne pouvait être facilement prolongée. Aussi fut il décidé de faire escale à l'île de Santa Maria dans l'archipel des Açores pour recruter
deux matelots. Ainsi fut fait, mais ils ne trouvèrent personne qui acceptât d'embarquer pour être commandé par une femme.
Florane n'en fit pas un drame. De tous les évènements passés, seule l'escale fut notée
dans le journal de bord. C'était le vingt cinq Novembre mille huit cent soixante douze.
Le lendemain, le vent était favorable, et la goélette avançait bien. Albert Jackson était à la barre, et arriva précipitamment pour
réveiller Florane. Celle-ci dormait paisiblement dans les bras de Sarah. Amiya qui veillait comme toujours, promit qu'elle allait réveiller sa maîtresse. Florane fut sur le pont
en quelques minutes. Jackson se tenait grimpé sur le roof, et regardait l'horizon à la longue vue.
« De quoi s'agit-il ? » Demanda
Florane.
« Il me semble que c'est
une frégate corsaire. Je ne distingue pas le pavillon, mais c'est un bâtiment de guerre. C'est certain.
« Hissez le pavillon de détresse et mettez en
panne.
-Il vaudrait mieux prendre la
fuite !
-Et vous voulez fuir
jusqu'où ? Non, il nous faut discuter avec ces gens.
-Comme vous l'entendez Madame, mais nous prenons un gros risque.
-Beaucoup plus que vous ne l'imaginez. Mais ne craignez rien, je m'occupe de tout. Jackson dubitatif s'occupa de la manœuvre.
Effectivement, c'était une Frégate, trois mâts deux ponts, avec une rangée de canons impressionnante. Un navire taillé pour la course. Mon pauvre monsieur pensa t elle. Fuir devant une bête de course de cette race ? Florane avait tout compris de la marine à voile. Elle savait d'instinct ce que bien des capitaines n'ont jamais appris.
La frégate s'approcha, on put distinguer son nom :
« O Bonito Indifférente » Elle ralentit son allure. Les manœuvres de rapprochement pour qu'elles s'effectuent en toute sécurité, prirent plusieurs heures.
Puis les deux navires furent bord à bord, la goélette semblait minuscule auprès de la frégate.
Florane distinguait nettement le capitaine, debout sur la passerelle. Des hommes
s'affairaient, la discipline était visible. Quand les hommes furent prêts, sur un geste du capitaine, ils s'élancèrent à bord de la goélette. En quelques secondes ils rassemblèrent le
capitaine les trois femmes et le bébé sur le pont et attendirent les ordres. Sur un geste du capitaine, les femmes furent dirigées vers la frégate, montèrent à bord à l'aide de
l'échelle préparée à cet effet. La goélette était maintenant solidement amarrée à la frégate.
Les trois femmes furent invitées à gravir les degrés de la passerelle. Elles se
trouvèrent face au capitaine. Celui-ci les dévisagea, avec ce qu'il semblât à Florane, quelque peu d'amusement.
« Qui est le capitaine ? Où sont les matelots ? » Il s'exprimait
en Espagnol.
Florane s'avança sans
crainte.
« Je suis le capitaine, et
il n'y a plus de Matelots.
« Vous
n'allez pas me faire croire que vous n'êtes que quatre et le bébé pour manœuvrer ce navire ?
- Si capitaine, c'est une situation récente que je souhaite vous expliquer. Mais avant
je souhaiterais que vous preniez soin de mes amies qui ont eu à subir beaucoup d'épreuves.
-Ce sera fait madame. Et disant cela, il suffit d'un mouvement du menton pour que les
deux femmes soient entraînées vers les cabines.
Le Capitaine invita Florane à le suivre. Ils entrèrent dans le carré du commandant. Tout semblait être en ordre et respirait la propreté. Il invita Florane
à s'asseoir dans un grand fauteuil face au bureau.
« Je suis le Capitaine Lusciano d'Aveiro. Je suis le commandant de cette Frégate de la marine Prussienne, que j'ai capturée le mois dernier. J'ai compris que ce
navire naviguerait aussi bien avec moi qu'avec un Capitaine Prussien. D'où le nom que je lui ai donné : « La Belle Indifférente » Je suis un corsaire Portugais, en
mission pour servir le gouvernement français. Sous le couvert du pavillon Portugais, nous chassons l'Allemand, ce qui est bien sûr contraire aux règles de la guerre qui vient de se
dérouler. Nous ne sommes pas des tueurs assoiffés de sang, simplement des gens de mer qui font leur métier. Nous vous viendrons en aide si nos intérêts concordent, nous vous
débarquerons dans le premier port dans le cas contraire. Nous n'avons aucune obligation envers vous. Maintenant je vous écoute.
Florane n'avait pas cessé d'étudier le capitaine. C'était un homme jeune, moins de
quarante ans assurément, d'un port altier pour ne pas dire hautain. Il semblait avoir des manières de « gentilhomme » comme on disait dans le temps. Il était grand, le visage
hâlé, la chevelure bouclée plutôt blonde. Il paraissait athlétique, et exhalait son autorité par tous les pores de son personnage. Florane le trouva d'emblée poli, éduqué, ouvert à
toute discussion. Beaucoup de ses semblables auraient mis leurs prisonniers aux fers pour discuter d'une rançon ensuite. En un mot le capitaine lui parut séduisant, et sans détours,
elle décida d'instinct de jouer franc jeu avec lui.
Le capitaine écouta Florane durant le temps qu'il fallût pour être pénétré de la réalité du récit qui lui était présenté. A la suite de sa présentation, Florane
demanda :
« Capitaine, puis je
être rassurée sur le traitement réservé à mes amies ?
-Vos amies seront traitées comme des reines avec le plus grand respect. S'il devait en être autrement, le fautif serait châtié de mes mains
immédiatement. »
Florane parut
rassurée. Le Capitaine après quelques instants répondit :
« Je vous remercie de la relation que vous venez de me faire, des évènements qui vous ont conduits ici. Je sais, et quand je dis
« je sais » c'est que je sais, que vous me cachez une partie de la vérité. Ce n'est pas forcément une trahison, j'en conviens, et je me doute que vous ne voulez pas
révéler tous les éléments de votre mission. Voilà ce que je vous propose : Je vais me rendre seul sur votre navire pour en faire l'inspection. De cette façon, les ombres de votre
récit seront dissipées, et personne d'autre n'aura connaissance de vos secrets. Il est sûr que si ce que je vais découvrir est contraire à ma mission, vous en paierez le
prix.
- Je le conçois. Les missions du
capitaine Briggs ont toujours été pour le service de l'Amérique, il n'y a aucune ambigüité.
-J'en suis persuadé. Je connaissais le capitaine Briggs. Sa réputation a fait le tour
de la planète. Mais je me dois de faire cette vérification.
- A votre convenance Capitaine. »
Celui-ci frappa à la porte, d'un signe du menton, le matelot comprit qu'il devait rester là à surveiller Florane, puis il prit
congé.
Il revint presque une heure plus
tard.
« J'ai vu ce que je voulais
voir. J'ai entendu ce que vous ne vouliez pas me dire. Je vous invite à ma table pour le souper, nous discuterons, vous serez mes invitées. J'aurai toute la nuit pour réfléchir à notre
situation, et demain, je donnerai mes ordres.
- Et notre navire ?
- Rassurez-vous. J'ai placé deux hommes à bord, un « bout » relie les deux navires, la mer est calme, Il ne peut rien
arriver.
- Je vous en remercie
Monsieur »
Le repas fut servi dans la cabine « Amiral » Les trois femmes, et le capitaine étaient les seuls convives. Monsieur Jackson n'était pas invité. Il semblait à Florane Que le capitaine avait des idées bien arrêtées sur leur situation. Après s'être installés autour d'une nappe blanche, le capitaine prit la parole. Il ne parlait pas l'anglais, encore moins l'américain, il parlait l'espagnol, le portugais ou le français. La conversation se fit donc en français, les québécoises ne furent pas, de cette façon, tenues à l'écart.
« Madame Briggs, je vous présente mes condoléances. Tous les
hommes de mer connaissaient Monsieur Briggs, et c'est sûrement le marin le plus admiré qui fût. Mademoiselle Amiya, je tiens à vous faire compliment de votre beauté. A bord de ce
bateau, ne se trouvent que des militaires. Il ya un commandant et des soldats, il n'y a donc ni maître ni valets. Je vous considère donc comme une femme libre, à l'égal de ces deux
personnes.
-Amiya fit sa révérence, et
répondit avec grâce :
« Monsieur, je vous sais gré de votre sollicitude. Je voudrais toutefois vous faire savoir que je n'ai trouvé la liberté que le jour où j'ai rencontré Madame
Briggs. Ce jour là, j'ai acquis de mon propre désir la liberté de la servir et de l'aimer.
- Et vous Mademoiselle, je tiens à vous dire que je suis totalement admiratif de la
façon dont vous avez réglé le problème de cette mutinerie. J'aurais agi exactement de la même façon avec sûrement plus de violence et moins d'élégance. Comptez sur moi, si d'aventure
vous aviez besoin d'un témoin.
-Je vous
remercie capitaine. Je ne suis pas d'une nature violente. Mais je ne peux supporter la barbarie, et je ne lui trouve aucune excuse. Il m'était intolérable d'imaginer le deuil de mon
amie, alors que le meurtrier continuerait à vivre, avec qui sait, le risque d'une récidive.
- Notre civilisation vivra une fin prématurée, si elle n'est pas capable de se
débarrasser des intégristes. Mais permettez-moi de mieux me présenter : Je suis issu d'une famille modeste, de paysans élevant la vigne. Mes parents ont tout sacrifié pour que je
puisse recevoir une éducation. J'ai fait des études pour devenir avocat. La justice a toujours été le seul idéal de ma jeunesse. Je n'ai pu aboutir faute de moyens, quand la
maladie a décimé les récoltes, j'ai dû m'engager dans l'armée. Il me restait que quelques mois avant le diplôme. L'armée a pris à son compte mes études universitaires, j'ai pu passer
mes examens et je n'ai eu aucun mal à devenir officier. Ce métier me plait, j'y rencontre des gens extraordinaires, dont vous serez sûrement la plus belle image qui perdurera dans mon
souvenir.
- Visiblement le capitaine a
hâte de se débarrasser de nous ! » S'exclama Florane.
« Détrompez vous, c'est bien la première fois que je me confie de cette façon et que je parle de moi aussi
facilement.
- Parce que vous avez senti
que nous étions à l'écoute. Nous vous félicitons capitaine, et vous remercions de l'accueil que vous nous avez réservé. Nous allons nous retirer, et demain, nous parlerons, si vous le
voulez bien.
-Je vous souhaite la bonne
nuit sur « La Belle Indifférente ».
Les trois femmes se retirèrent dans leur cabine. Pour dormir il y avait trois hamacs. En voyant cette installation, elles partirent d'un
grand fou-rire.
« Dommage »
déclara Sarah, j'aurais aimé être aimée cette nuit.
- Ne crains rien Sarah, je suis là.
- Et moi aussi. »
C'était Amiya qui avait ajouté ces derniers mots.
« Amiya cher amour, tu crois que je ne sais pas que tu te transformes en petite souris la nuit venue pour nous apporter le bout de plaisir qui nous manque ?
Soit bénie ma douce amie, tu as toujours été une femme libre dans mon cœur. Et nous ferons l'amour librement au soleil toutes les trois.
-Bonne idée, l'amour des femmes est inépuisable. Je vous demande seulement de ne pas
couper les cordes du hamac. Bonne nuit mes chéries. Florane venait de se coucher, elle avait des rêves à vivre.
Le lendemain matin, le Capitaine réunit les femmes pour le petit
déjeuner.
« Lors de l'inspection de
votre navire, que j'ai effectué seul je vous le rappelle, j'ai trouvé ce que le Capitaine Briggs avait dissimulé dans le fond de la cale. En vérité, j'étais sûr de ce que j'allais
trouver. A chaque jour suffit sa peine. Aujourd'hui, nous allons transporter la cargaison de la Goélette sur la Frégate. Ensuite nous abandonnerons la Goélette, car je ne peux me
séparer de mes marins pour reconstituer votre équipage. Peut être que son armateur la retrouvera. Il n'y a pas beaucoup de vent, elle ne quittera sa position que très peu, elle sera
vite repérée.
- Pourquoi ne pas plutôt la
couler ?
- Nous allons en faire un
vaisseau fantôme, les folliculaires sont friands de ce genre d'histoires.
- Un vaisseau fantôme ?
- Oui, un navire qui continue son voyage sans personne à bord. Il faut faire en sorte de faire croire que l'équipage et les passagers
ont quitté le navire précipitamment, emportés peut être par Poséidon ou par un serpent de mer ! Ce genre d'histoire foisonne dans tous les livres de marine. Ce sera le dernier
vaisseau fantôme de la marine à voile ! » Florane ne parut pas convaincue du bien fondé de cette décision.
Le transbordement fut réalisé avec de gros moyens. La manœuvre fut rapide, et
heureusement, car la mer devenait grosse.
A la première grosse vague, la « bigue » vint heurter violemment le roof de la goélette en brisant quelques morceaux du
toit..
Le Capitaine fit enlever les
instruments de navigation, il en fit don à Florane :
« Ils sont gravés aux armes du capitaine Briggs, Je pense que Madame Briggs sera d'accord avec moi pour dire que vous les
méritez. »
Puis il remit debout tous
les objets que le choc avait fait tomber. Il laissa le carnet de bord tel qu'il l'avait trouvé, Mme Briggs laissa quelques vêtements épars. Il n'y avait plus de canots, tout était
parfait. Il ne restait plus qu'à desserrer les écoutes pour que le bateau puisse errer au gré du vent. On retira le bout, et c'est avec grande émotion qu'ils virent la Mary Céleste
disparaître dans la brume rougie du soleil couchant. L'orage éclata avec violence. Une pluie diluvienne s'abattit sur les eaux brusquement agitées. Il allait pleuvoir dans la cabine du
capitaine.
« Je pense malgré tout,
qu'il aurait été plus judicieux de la couler » Se répétait Florane. » "