Une semaine après, je me présentai au 25 ème RGA. Au camp des Sablons à Compiègne. J’étais seule à rejoindre le camp ce jour là. On me donna mon paquetage, et mon logement. C’était
dans une baraque « Fillod » elle était séparée en deux, et j’arrivai dans un réduit où il y avait quatre lits, dont un n’était pas occupé, j’en pris possession. Je mis mon treillis, mes
rangers, mon béret perché sur mes longs cheveux en chignon. Je me promis de couper mes cheveux à la garçonne à la première occasion. (Je ne le fis jamais) Le caporal de semaine vint
m’expliquer ce que je devais faire. Les trois autres filles engagées comme moi, revinrent dans la chambrée. On fit connaissance. L’une d’elles était très belle, et bien que blonde, elle
me plaisait beaucoup. Elle s’appelait Marie-Noëlle et le déclic se fit instantanément. Ça, c’est un phénomène que je ne me suis jamais expliqué. Elle était blonde, et avait des yeux
totalement noirs, on ne voyait pas de différence entre les pupilles et les iris. C’était un regard étonnant qui lui donnait un charme surnaturel. Cette blondeur lumineuse et ce regard
très sombre lui faisait un visage des plus original. Pour le reste, je ne sais pas, le treillis n’est pas très seyant, c’est une banalité que de le dire. Je fus reçue par le Chef de
Corps, le Colonel Dumas, honneur que je me devais d’apprécier. Il me réserva un accueil très protocolaire, mais souriant. Et bien sûr la question qui me suivra pendant deux ans,
« Mais que diable venez-vous faire dans l’armée ?
-Essayer de faire comme vous Colonel !
-Bien répondu, et je vous souhaite très sincèrement de faire mieux. Maintenant je vais vous expliquer ce qui va se passer. Et quel sera le déroulement de votre séjour ici. Le stage à
l’école d’officiers de réserve auquel vous allez participer durera six mois, ou neuf, je ne sais plus, ne démarre que dans un mois. En attendant vous suivrez le peloton avec vos trois
collègues, cela vous permettra de vous mettre dans le bain. » L’entretien dura une bonne heure. Les questions allèrent très loin dans ma vie privée. Je restais très réservée. Non, je
n’avais pas de fiancé, je n’étais pas sur le point de me marier, je n’étais pas enceinte. Oui, j’avais quitté l’enseignement, j’ai une licence de lettres modernes. Le bac plus cinq. J’ai
travaillé à Lille au journal. Mes parents habitent Compiègne. Mon père est ingénieur. Je suis trilingue, etc etc Le colonel s’étonnait que je sois à l’armée avec un bac plus cinq ! Moi je
croyais savoir que les généraux sortaient de Polytechnique, il n’y avait donc rien de choquant. Je retrouvai les filles, et je pris mon premier repas militaire. Une chose est certaine, ce
n’est pas ici que je prendrai des kilos. Le soir on est allé en ville, en civil. On a bu un pot dans un bar, et nous sommes rentrées. Il y avait une bonne distance entre le camp des
sablons et le centre ville, mais il faisait beau, ce n’était pas désagréable. Dire à quel moment on se prit la main, et qui décida de le faire, je ne sais pas, c’était tellement naturel.
Marie-Noëlle avait une jolie voix quand elle me parlait doucement, et le temps du retour passa agréablement. Arrivées à la baraque, les deux autres filles restèrent dehors pour fumer une
cigarette, et nous, on resta dedans pour s’embrasser. Ma vie militaire commençait bien. Mes mains engagées sous le pull découvraient un corps de femme des plus attirants. On en était
là de nos découvertes quand une des filles entra en coup de vent et nous lança :
« Planquez-vous voila le chef ! » C’était bien, elles avaient tout compris, tout de suite. Le mois de Peloton se passa très calmement. Bien que pas concernée, je participais à toutes les
activités, d’abord pour ne pas m’ennuyer, et ensuite pour être avec les filles qui se révélèrent d’une fréquentation agréable. Marie-No était un peu amoureuse, mais elle n’en faisait pas
des tonnes. Elle savait que j’étais là pour peu de temps, elle ne voulait pas vivre une séparation délicate, ce qui prouvait, s’il en était besoin, qu’elle avait la tête sur les épaules.
On fit l’amour une ou deux fois, profitant que les filles étaient allées au cinéma en ville. C’était cool la vie militaire au Camp des Sablons. Au fond du terrain de la base, il y avait
un terrain appelé le « polygone » où les garçons apprenaient la conduite des engins de travaux publics. Il y avait des bulldozers énormes, des grues, des niveleuses, des rouleaux. On
m’autorisa à grimper sur un Caterpillar et en prendre les manettes. C’est une expérience inoubliable. C’est facile à piloter, et l’engin avait une puissance énorme. J’ai bien aimé aussi
la marche de nuit à la boussole. Le camion nous larguait on ne sait où dans la forêt, nous avions un angle de marche, le lieu d’arrivée, et un temps limite. J’emmenais les filles avec
moi, et la boussole dans la poche, on arrivait les premières. Personne ne s’était rendu compte que, native de Compiègne, je connaissais la forêt comme ma poche. Dans cette garnison, il
semblait y avoir un maître mot, ne jamais s’ennuyer. Alors on inventait des « exercices », mais on aurait pu dire aussi que l’on inventait des jeux. On faisait du sport sans arrêt, et le
parcours du combattant, on le faisait par plaisir. Je ne mangeais pas grand-chose, la bouffe était immangeable. Je perdis trois kilos le premier mois. Même les seins furent réduits
d’un bonnet. Mais je n’étais pas fâchée, je me trouvais dans une forme éblouissante. Je passais le week end chez mes parents, je faisais du vélo avec mon père, et…. Marie-No, qui se
révéla aussi une fana du vélo. Elle passait le week end avec moi, elle était de Dijon. Quand je reçus l’ordre de marche pour Angers, je me pris un coup de cafard monstre. Marie No et
ses copines ne feraient plus partie de mes plaisirs. Il allait falloir tout recommencer. Et s’il n’y avait personne là bas avec qui vivre des moments d’intimité ? Ma seule consolation fut
que j’allais leur manquer aussi. Marie-No assuma sa tristesse devant tout le monde, sans honte, sans vouloir cacher ses larmes et les sentiments que nous avions tissés. Qu'on le veuille
ou non, pleurer le départ de sa copine devant cent cinquante mecs, présente un certain courage. Nul ne songea à plaisanter ou écourter nos adieux. A vrai dire, aucun n’ignorait notre
liaison, et je sentis à cet instant, que nos sentiments étaient compris et respectés.
Arrivée à Angers, je pris place à la terrasse du buffet de la gare. Je n’avais aucune envie « d’y aller ». Sauf que là bas, les choses ne sont pas faites au hasard. Le commandement savait
que je devais être dans le train. Une voiture était donc là, à m’attendre. Je voyais le chauffeur chercher quelqu’un des yeux, inquiet de ne trouver personne. J’étais loin de me douter
que c’était moi qu’il cherchait. Il s’approcha enfin de moi, et poliment me demanda si j’allais au quartier Eblé. Je répondis que oui, et il me dit qu’il était envoyé pour me
conduire là bas. Je lui proposai une boisson qu’il refusa. Je finis mon Schweppes, il m’attendit sans s’impatienter. Je lui demandai si c’était l’habitude de venir chercher les gens au
train, il me répondit que oui, mais lui ne le faisait pas souvent. Je remarquai que la grosse berline noire avait un fanion sur l’aile gauche. Je demandai l’explication. Le chauffeur me
répondit : C’est la voiture du Général. Je suis son chauffeur. J’allais d’étonnement en étonnement. Il m’ouvrit la porte arrière, et me fit monter à la place du Général. Je croyais rêver.
Arrivée au quartier Eblé, je fus étonnée du parfait ordonnancement des lieux. La voiture s’arrêta devant la porte centrale de l’un des trois bâtiments qui entouraient la place d’armes.
Deux personnes semblaient attendre. Le premier s’avança, et ouvrit la porte.
« Je suis le Capitaine Ducrocq, et je commande votre compagnie. Je vous souhaite la bienvenue au quartier Eblé, l’école d’application du Génie. Le sapeur untel va monter vos bagages dans
votre chambre. Je vais vous conduire au Mess, je vous ai fait tenir un repas au chaud. » Cela continuait. Je me demandai si ce n’était pas moi le Général. Durant le repas, le Capitaine me
tint compagnie, me proposa du vin rosé « Côteau du Layon » mais je refusai, je ne buvais de l’alcool qu’en galante compagnie, et encore. Durant le repas, il me parla de mon séjour dans
cette école. Ce que je retins de cet entretien, c’est que je n’allais pas chômer ! En sortant du restaurant, le Capitaine me dit :
« Je vous laisse aux soins du sapeur untel. Il va vous installer dans vos quartiers. Comme il n’y a pas d’autres femmes pour l’instant, vous serez seule dans votre chambre, j’espère que
vous ne vous ennuierez pas trop. Vous trouverez un livre retraçant l’histoire de cette école, et en plus, l’histoire du Général Eblé qui, comme vous le savez, était le Général de l’Armée
de Napoléon 1er, à qui revint l’impossible mission de faire traverser la Bérézina à la grande armée. S’il vous manque quoi que ce soit, demandez au sapeur qui est à votre service. Autre
chose, le peloton commence dans deux jours. D’ici là vous êtes au repos. La seule présence obligatoire sera la sonnerie « au drapeau ». Si vous ne prenez pas vos repas au Mess, je vous
demanderai de prévenir « la semaine » »
Pour parler poliment, j’étais sur le cul.
J’arrivai dans « ma chambre », et c’était vraiment une chambre. Un magnifique parquet ciré, et quatre lits avec des couvres-lits orange. Il y avait des tables de nuit avec des lampes de
chevet. Au milieu de la pièce, une table et quatre chaises, sur le mur en face des lits, des armoires individuelles, et une porte. Deux grandes fenêtres à petits carreaux, avec des
rideaux et doubles rideaux assortis aux couvre-lits Le sapeur précisa : « C’est la seule chambre avec des rideaux, c’est la chambres des femmes. Vous n’aurez que votre lit à faire, le
ménage sera fait tous les jours par les hommes des services. Vos armoires seront obligatoirement fermées par un cadenas. Et vous ne laisserez aucune lingerie visible. La porte donne
sur le cabinet de toilette.
-Et où peut-on téléphoner ?
-Au fond du couloir, il y a un téléphone à jetons. Vous toucherez un nombre de jetons avec votre solde, mais vous pourrez en acheter plus au foyer.
Attention, vous devez être en tenue militaire irréprochable dès que vous sortez de votre chambre. La porte de votre chambre ferme à clefs. L’équipe d’entretien a un passe déposé à
la semaine.
-Les hommes des services, c’est quoi ?
-Il y a deux compagnies d’élèves officiers commandées chacune par un Capitaine. Elles sont divisées en brigades d’une trentaine d’élèves, commandées par un lieutenant. Et il ya une
compagnie de services, ou (de commandement), qui est là pour assurer le quotidien. Le nettoiement, l’entretien, les cuisines, les transports, les bureaux etc. Vous pouvez à chaque instant
demander l’aide d’un homme des services. Après le travail, vous pouvez vous rendre en ville, en civil bien sûr. Il y a un bus qui peut vous y conduire, et vous ramener également, il faut
consulter les horaires. A moins que je sois occupé par ailleurs, je serai à votre service. En principe vous devrez m’appeler par mon nom, précédé de « Sapeur » c’est le nom des militaires
du génie. Mais je m’appelle « Clément », et je préfère que vous m’appeliez comme ça.
-Et moi, vous m’appellerez « eve anne »!
-Nous allons aller voir le sergent fourrier, qui va vous échanger votre paquetage pour quelque chose de meilleure qualité. » Effectivement, les vêtements qui me furent remis étaient
magnifiques à côté de ceux que j’abandonnais. Y compris les rangers qui étaient superbes. Clément me précisa qu’il était tout à fait possible de faire retoucher les vêtements, qui
n’étaient pas a priori prévus pour les femmes. La tenue de sortie était celle des femmes de l’Armée de l’Air, un tailleur bleu marine, jupe courte, une chemise bleue une cravate, et un
bibi sur la tête. Les chaussures étaient au choix, à talons hauts ou plats. J’ai bien cru que je n’étais plus à l’armée, tant le souci du confort et de la présentation était élevé.
Clément me donna la réponse.
« Bien que vous n’ayez pas encore vos barrettes, vous êtres déjà considérée comme officier. D’ailleurs, vous ne vous présenterez pas comme « Sapeur untel » mais comme « Elève officier
untel » Je demandai ensuite où était le foyer, mais il n’était pas encore ouvert. Clément m’avança quelques jetons de téléphones. Je constatai que d’autres militaires arrivaient
continuellement, seuls ou par petits groupes.
« Y aura-t-il d’autres femmes ?
-Je ne peux pas vous le dire, je l’ignore. » Clément m’abandonna. Je fis mon lit, rangeai mes affaires, fis des essayages. Les vestes de treillis devront être rectifiées. A cause de la
poitrine évidemment. Les pantalons raccourcis. Les tee-shirts et les chemises étaient un peu justes aussi pour les mêmes raisons. Il n’y avait pas de sous vêtements de prévus pour les
femmes. Le tailleur m’allait comme un gant. On me donna un « bon d’achat » pour aller choisir mes chaussures en ville. Il suffisait qu'elles soient de couleur noire. Je téléphonai à
mes parents, pour les rassurer. J’appris que Michèle avait appelé pour dire qu’elle allait mieux, et prendre de mes nouvelles. Elle a dit aussi qu’elle venait seulement d’apprendre que je
m’étais engagée dans l’armée, et que cela l’avait bouleversée. J’appelai Nathalie tout de suite après. Elle parut heureuse de mon appel, et me donna quantité de détails sur la santé de
Michèle, qui semblait se rétablir progressivement. Elle me dit aussi qu’elle pensait beaucoup à moi, et qu’elle regrettait ma main entre ses cuisses. Elle était assez gaie, j’en fus
contente. Je n’avais déjà plus de jetons. Ensuite, j’écrivis un petit mot à Marie-No. Deux autres filles arrivèrent dans la soirée. Une grande rouquine assez désagréable, et une petite
blonde à cheveux courts assez guillerette. Je ne sentis pas de déclic. Tant pis, je ferai sans. La rouquine commença très fort !
«Je m’appelle Christine. J’espère que vous n’êtes pas lesbiennes, je ne supporte pas !
-Si justement, je suis lesbienne, et tu fais quoi maintenant ?
-Je vais demander à changer de chambre !
-C’est cela, essaie toujours. En tout cas, tu as intérêt à la boucler, car si tu n’aimes pas les lesbiennes, moi je déteste les conasses ! Je suis eve anne, et je fais une tête à celles
qui m’emmerdent » Et la blondinette d’en rajouter en riant,
« He ! ça commence bien ! Je sens qu’on va se marrer. Je m’appelle Elodie. Rassurez-vous, moi je suis à voile et à vapeur ! » L’incident en resta là. Et la blondinette s’approcha de
moi.
« C’est vrai tu es lesbienne ?
-Non pas du tout,
-Dommage ! » Je n’eus aucun regret, bien que mignonne, elle n’était pas mon type, et je n’avais pas senti le déclic. Puis ce fut l’heure du repas. Je trouvais ça très bon, rien à voir
avec le rata servi à Compiègne. La rouquine fit honneur au rosé, mais ne desserra pas les dents. On se pointa ensuite au Foyer. Quelques garçons timides s’approchèrent. On discuta un bon
moment. Tous ces garçons buvaient de la bière, la rouquine aussi, et moi je buvais un diabolo menthe. Elodie était partie en ville. La nuit fut paisible, le lit était dur comme j’aime.
C’était silencieux, les filles ne ronflaient pas. Le réveil était à six heures. Ce n’était pas le clairon hésitant des Sablons. C’était de la trompette de cavalerie, qui nous joua un
réveil « un peu fantaisie » L’eau était chaude, les toilettes très propre, abondance de lavande et d’eau de javel. Petit déjeuner au choix avec jus d’orange, croissants, pain ou pain
grillé, café, thé ou chocolat. Quand je raconterai ça, personne ne me croira. Et pourtant c’est bien la vérité. C’était dimanche. Je n’assistai pas à la messe célébrée dans la
chapelle du quartier. J’assistai par contre à la prise d’armes du 6ème Génie. Et puis l’après midi, Elodie et moi sommes allées en ville. Le lendemain fut le grand jour, Nous étions sur
la place d’armes à 7h30 précises pour hisser les couleurs. Le Général était là, il souhaita la bienvenue au nouveau peloton. Ensuite, le Capitaine fit l’appel des recrues, répartit les
élèves en différentes brigades. Il y avait cinq brigades. Je fus dans la cinquième, et les deux autres filles dans la troisième et quatrième. Nous étions 28. L’emploi du temps était
simple. Le matin deux heures de sport, ensuite tir et maniement d’armes, exercices de commandement. L’après midi les cours théoriques. Il était prévu au moins une journée à l’extérieur
par semaine, pour des exercices de pontage ou de travaux publics. Une fois par mois, il y aurait des manœuvres sur deux ou trois jour. On se répartit par petits groupes, et nous devions
travailler par nous même au moins deux heures par jour. Nous n’aurions pas une minute pour souffler. Et le peloton commença comme ça. Le sport était principalement de l’athlétisme, avec
du parcours du combattant, et du combat. Je me révélai être dans les meilleures en sport, et au tir, et je tenais le coup pour les marches commando de 20 ou 30 km. Ce qui inspira le
respect à mes camarades. Là où j’étais la plus faible, c’était au combat, où tous les garçons étaient beaucoup plus lourds que moi. Il faut dire aussi que je craignais les attouchements
et les contacts. On était tellement crevés le soir que l’on n’allait pratiquement jamais en ville. Je mangeais comme quatre, et je perdais du poids. Les cours théoriques, n’étaient pas
difficiles, il suffisait d’apprendre et ça j’avais l’habitude. Les élèves officiers qui avaient dans le civil des professions qui pouvaient être utiles, pouvaient donner des cours à leurs
collègues. Je fis des cours de français. Je n’avais pas eu les diplômes pour enseigner à des gamins, et là j’étais appréciée pour enseigner à des adultes ! Le français est une des
composantes principales des écoles d’officier. Un officier doit pouvoir s’adresser à un auditoire, et s’exprimer sans préparations préalables, et écrire sans fautes. Il y avait un cours
d’anglais, mais pas d’Espagnol. J’étais la seule fille dans ma brigade, mais il n’y eut jamais de traitement de faveur, ni d’ailleurs de mots ou gestes déplacés. Ce fut la même chose pour
Elodie. Pour la rouquine, ce fut différent c’était une emmerdeuse, et elle devint rapidement la tête de turc de sa brigade. Je me rendais à la piscine d’Angers une à deux fois par semaine
le soir. Quand le Capitaine fut au courant, il m’y fit conduire régulièrement en voiture par Clément, et j’eus un abonnement offert par l’armée. Le pauvre Clément en profita pour faire
des progrès. Autre arrangement avec le Capitaine: je pus faire venir mon vélo, et il m’accompagna pour des sorties matinales. Quand il ne pouvait pas sortir le dimanche, il ne voulait pas
que je sorte seule. C’est mon père qui fit le voyage pour m’amener le vélo. Il fut reçu par le capitaine qui l’invita au Mess. Le Capitaine, roulait bien. Il me mit à l’épreuve en passant
par Chemillé et Chalones. Soit environ 120 km. Quand nous étions sortis du quartier, on se tutoyait et je devais l’appeler Henri. Après deux mois à Angers, je n’avais pas encore trouvé
une seule fausse note au fonctionnement de cette caserne. Ce n’était que correction, distinction, respect et politesse. Seule condition, il fallait bosser. Et c’était 10 heures par jour,
et six jours par semaine. Je n’allais pas en permission chez mes parents. Faire tout ce voyage pour si peu de temps n’en valait pas la peine. Par contre, ils vinrent me visiter par deux
fois. Le capitaine me prêta un vélo tout terrain pour visiter la campagne, escortée de Clément bien entendu.
Il y avait une femme dans les bureaux qui me prit en amitié. On prenait nos repas ensemble le midi, et elle venait souvent discuter avec moi. Ce n’était pas une relation « orientée »,
c’était de la camaraderie pure et simple. Elle m’invita à passer un dimanche chez elle, avec son mari et ses deux enfants. C’était une superbe maison au bord de la Maine, Au Pont-de-Cé.
C’était une superbe journée, où, sans réfléchir j’avais sorti mon décolleté « des jours de fête » ! J’eus à subir bien malgré moi quelques attouchements de la part du mari, qui ne
dissimulait pas ses « envies ». Je ne retournai plus chez elle, sans dire pourquoi, et elle en fut attristée. Quelques temps après, elle est revenue me voir pour me dire :
« Je crois savoir pourquoi tu ne veux plus venir à la maison. Robert a eu les mains baladeuses, c’est ça ?
-Je ne t’ai rien dit. Je ne me suis pas plainte. Je n’ai pas aimé c’est tout. Mais je t’aime, toi, et j’adore tes enfants.
-Je le sais parce qu’il a fait la même chose avec une autre femme, et je l’ai surpris.
-Et alors ?
-Alors, je viens m’excuser.
-Mais tu n’y es pour rien ma poule, j’ai l’habitude de me faire peloter dans le train, dans le métro, les queues du cinéma. C’est sans arrêt. Parce que j’ai des gros seins ils
croient tous que j’aime ça. Mais je ne peux pas tous les tuer ! J’aurais préféré que ce soit toi qui me fasses les caresses.
-Moi ? Parce que…. ?
-Ben oui, ça existe tu sais.
-Oui, je sais, mais je n’ai jamais…
-Je plaisantais. C’est vrai que je préfère les femmes, mais je ne suis pas une névrosée du sexe.
-Ha bon, tu me rassures !
-Prends garde quand même, ton décolleté est assez craquant ! » La jeune femme qui était surnommée « Minouche » par tout le monde à la caserne, m’embrassa sur la joue avant de repartir.
Elle resta ma copine, et on reprit nos repas ensemble le midi, avec un café sur la terrasse. C’était une femme équilibrée, belle et sereine, qui respirait l’honnêteté. Je ne comprenais
pas qu’un mec qui avait la chance d’avoir une femme comme ça, puisse se livrer à des actions d’une telle bassesse.
Clément vint un soir s'assurer que tout allait bien. Je lui demandai s’il lui serait possible de m’accompagner en ville au cinéma. Il hésita beaucoup.
« Pourquoi, c’est interdit ?
-Non, je ne crois pas, mais on pourrait penser…..
-Tu m’avais dit que tu étais à mon service, et le Capitaine me l’a confirmé. Je ne veux pas y aller seule parce que je ne veux pas être importunée. C’est tout.
-Alors je peux venir avec un copain ?
-Non, toi et moi, comme des amoureux, c’est à prendre ou à laisser.
-C’est d’accord.
-Merci. Mais n’aie pas peur, je n’ai pas l’intention de te violer. » Et il m’emmena au cinéma. Il me ramena au quartier en tout bien tout honneur.
« Eh bien Clément, ce n’était pas si difficile ?
-C’était agréable, mais s’il vous était arrivé quelque chose, j’aurais été responsable de tout.
-Mais j’espère bien, et je lui fis une bise sur la joue. » Ce séjour à Angers fut extraordinaire. J’ai fait des choses inimaginables. Utiliser les explosifs. Organiser la construction
d’un pont. Sauter en parachute. Parachuter du matériel de travaux publics. Toutes ses activités, on les dirigeait chacun son tour, avec l’appui du groupe. Faire un pont sur la Loire,
nécessite 150 hommes pendant 5 heures et cinquante camions de matériel, une grue et un bulldozer. Et de puissantes vedettes. Préparer un tel chantier est un travail colossal. En quelques
mots. Un pont de bateaux est composé de «portières». Les portières sont composées de trois ou cinq bateaux, réunis par un platelage métallique. Ces portières sont construites sur le bord
du fleuve, et poussés ensuite par les vedettes pour arriver en synchronisme avec les autres et constituer le pont. Celui-ci est tenu par des câbles. Cette préparation nous demandait nos
soirées pendant deux à trois semaines. Aussi les ponts métalliques, et les ponts automoteurs, furent expérimentés. Imaginez-vous : départ à trois heures du matin. Construire les
portières. Remonter le fleuve sur la portière, poussée par la vedette, quand le jour se lève. Une heure de ballade comme ça sur la Loire au soleil levant. C’était féerique. Il fallait
respecter l’horaire très précisément, nous n’avions droit qu’à une heure de barrage du fleuve, autorisation du préfet, et surveillance par la gendarmerie. Nous avions aussi nos exercices
de travaux publics. A la base une carte d’état major. Réaliser une piste d’atterrissage de classe X. Faire les calculs. Les cubages de terre à déplacer, choisir les matériels etc. Ajouter
à ça les exercices de combat, les destructions à l’explosif, la réparation des voies ferrées. Et les cours théoriques pour apprendre à faire tout ça. Bref, nous n’avons pas eu une seule
minute d’ennui. Je me suis passionnée pour toutes ses activités qui se sont déroulées dans un esprit de camaraderie remarquable. Cinq élèves ont capitulé en cours de route, faute
d’énergie, ou d’intérêt, ou peut être de courage tout simplement. Je sais que mes cours de lettres ont été appréciés, et j’ai tenu ma place dans toutes les matières. Le stage a duré neuf
mois. Dont un hiver très froid. A la fin du stage, le concours nous traumatisa quelque peu. Suivant le classement, on pouvait avoir un grade de Sous lieutenant, d’Aspirant, ou de Sergent.
Le sergent étant équivalent à l’échec. Avec ce grade il y avait une priorité pour choisir le lieu d’affectation. Le concours dura une semaine complète. Sur 150 élèves, je suis sortie
15ème, avec le grade de Sous-lieutenant. Les deux autres filles sont sorties Aspirants. Au lieu d’être heureuse de ce résultat, j’étais triste. La tension était tombée d’un seul
coup, et j’allais perdre « tout ça ». J’avais vécu neuf mois d’une activité physique et intellectuelle soutenue, et passionnante, (certes sans amours) et tout allait redevenir banal.
Je pleurais, Clément vint me féliciter. Le Général reçut en privé tous les « Sous-lieutenants. Nous avions trois jours pour récupérer, avant de repartir vers nos destinations respectives.
Au lieu de repartir par le train, mon père vint me chercher, et emmena mon vélo par la même occasion. Quand je fis mes adieux au Capitaine, il me dit simplement, « Tu étais la seule après
ton travail à avoir encore assez d’énergie pour faire des longueurs à la piscine, et des km en vélo. Je suis sidéré.
- Remettez-vous "Mon Capitaine préféré", vous en verrez d’autres, et je lui fis un gros bisou qui claque sur la joue. Les adieux à Minouche et à Elodie se passèrent tristement. Je ne
jugeais pas utile de saluer la rouquine. Clément eut du mal à cacher son émotion, et je me trouvais bien ingrate à son endroit. Je lui fis un petit baiser coquin, mais c’était une bien
petite récompense pour tous les services qu’il m’avait rendus. Je quittais l’Ecole d’Application du Génie d’Angers avec un cafard monstre, cinq kilos de moins, rien que des muscles, et ma
belle poitrine à moitié fondue. Tout ça pour une barrette sur chaque épaule.
Et pour oublier un amour perdu.
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